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Mon exemplaire, en piteux état : trop lu !
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"Nous les filles", de Marie Rouanet est un livre extraordinaire, où l'auteure, raconte sa vie de fillette, dans un faubourg de Béziers, dans les années 50. Elle vient d'un milieu modeste : son père était mécanicien, sa mère femme au foyer.
Ce n'est pas une biographie, ni un essai, mais un mélange fluide des deux, où le récit coule d'un thème à l'autre, comme un ruisseau. Elle évoque la vie quotidienne de son enfance, l'école, la nourriture, la religion, très présente à cette époque, les évènements particuliers ; réguliers, comme la colonie de vacances ou annuels, comme la participation aux vendanges ; ou encore exceptionnel et attendu avec ferveur, comme la communion solennelle. Il y a une infinité de détails, écrits dans un style joyeux, recherché mais facile à lire - Marie Rouanet a été enseignante - et il y a un lexique en fin de livre, pour les mots occitans, et de nombreuses notions qui auraient pris trop de place en notes de bas de page.
Elle décrit tout ce qui faisait la vie des gens de son quartier à cette époque, quartier situé dans un faubourg de la ville, loin du centre en distance, mais surtout en temporalité : la différence entre les presque ruraux et les citadins est très grande ; les boutiques du centre-ville ont une aura d'élégance, les églises décorées pour les grandes fêtes rivalisent de splendeur. Mais Marie Rouanet prend aussi le temps de s'attarder sur de toutes petites choses, comme la confiture de fruits sauvages, le passage quotidien du marchand de pains de glace, en été, et sur des réalités triviales que l'on ne connait plus, comme les toilettes sans tout-à-l'égout !
Mais avant tout, parlant de l'enfance, elle évoque les jouets et les jeux ; j'ai copié un extrait :
"Outre les friandises, on trouvait au bazar d'Honorat de petits jouets. de ces poupons de cellulo de quelques centimètres, rigides, sans articulations, et pour cela très difficiles à habiller, moins commodes que des rintintins, mais possédant un vrai visage. quand ils étaient vendus vêtus, un simple bout de chiffon était collé sur leur corps, et après l'avoir arraché, il était dur de les débarrasser es traces d'une épaisse colle. Au bazar, on trouvait des jeux d'osselet plus brillants que les nôtres.
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En les recevant, j'avais dit aux petites combien c'était rare d'en trouver encore ; Elise m'avait dit en riant que les enfants les avaient mangés ! Mais c'est vrai : le gout de mâchouiller les extrémités des poupées, ou même toute la poupée, ce n'est pas récent !
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Sic 4 1/2
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Sic 7 1/2
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Au moment de Noël, Honorat exposait des poupées vêtues de tarlatane, ornées de diamantine, de plumes peintes, mais le plus souvent, il proposait des objets accessibles à qui a reçu une très petite somme : des cigales de métal, des sortes de sous-verres, ronds, où il fallait loger des billes de plomb dans les yeux, la bouche, les trous de nez d'une tête de nègre*, ou dans des petits trous ponctuant un paysage - où la bouche du nègre*, comme le sommet de la montagne marquaient le maximum de points. On trouvait des paquets de perles multicolores, des coloriages, des boites de quatre crayons de couleur, de mauvais crayons à la mine friable dont nous gardions les plus gros morceaux car il était encore possible de colorier en les tenant à la pointe extrême des doigts. On trouvait chez Honorat des planches de découpage; et les mystérieuses surprises dont nous supputions le contenu de l'œil tandis qu'il nous pressait de nous décider.
Dans la surprise, il y avait parfois de petits miroirs ronds, au dos fleuri ou orné de dessins (...) sous le papier froissé qui donnait au cornet son volume, et avant le très petit bonbon qui en occupait la point extrême, il arrivait qu'on trouvât ce que nous appelions un cinéma. il se présentait comme un livre de la grosseur d'une boite de cars, aux pages épaisses. On tournait les pages à toute vitesse, du gras du pouce, et le dessin s'animait. le ballon rebondissait, la corde à sauter passait sous les pieds de la fillette, puis en arc au dessus e sa tête, le chien faisait le beau et retombait sur ses quatre pattes. Nous étions émerveillées : l'immobile bougeait !
D'autres fois nous y trouvions une toupie. Lancées par un mouvement pivotant du pouce et de l'index, les toupies ronronnaient sur le ciment du trottoir avec un bruit d'avion lointain. (...) certaines toupies étaient mieux équilibrées que d'autres - d'invisibles nœuds du bois modifiaient la nécessaire balance des hanches. Il aurait fallu pouvoir les choisir, mais c'était le hasard qui les attribuait."
*C'était le terme encore utilisé à l'époque pour les noirs ; voir le Négri de Petitcollin...
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Illustration empruntée au blog Overblog Collection de jeux anciens, jouets un peu plus anciens que ceux cités dans le texte, mais sans doute très semblables |
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Des toupies intemporelles
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"Le matin, je m'éveillais dans l'odeur du lait. La veille au soir, dès que j'étais revenue de l'étable, ma mère l'avait fait bouillir. Elle avait posé au fond de la casserole un ustensile de verre transparent, rond comme une soucoupe, marqué d'une cannelure spéciale. Il avait un nom merveilleux : l'antimonte-lait.
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Je n'ai pas retrouvé (on se demande pourquoi) l'antimonte-lait familial, mais il est identique, en verre ; il y en avait en faïence, et même en métal
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Théoriquement, il devait empêcher le lait de déborder. Pourtant je revois ma mère, plantée devant le gaz, en train de le surveiller. Ça montait à toute vitesse dans la casserole. Il fallait être à la fois vigilant et rapide pour arrêter le débordement"
(Je me souviens de mon père faisant bouillir le lait, avec l'antimonte-lait, avant de le répartir dans des toupins. Il ne faisait pas confiance au processus UHT, et gardait le souvenir de gens que des bactéries dans le lait cru avait rendu sérieusement malade. De temps en temps, il me laissait prendre un verre de lait non-cuit, car j'aimais son gout crémeux, mais c'était à contrecœur)
"Nous les filles" existe en grand format et en poche ; le grand format contient un ensemble de photos au centre. Je doute qu'il soit encore édité, il date de 1990, mais on le trouve facilement d'occasion
PS : A ma très grande surprise, pour ne pas dire ma stupéfaction, j'ai découvert que des antimonte-lait étaient encore couramment en vente, dans des boutiques connues de matériel de cuisine, et sur une bonne douzaine de sites ! J'étais persuadée que c'était un vestige, et que je ne le connaissais que parce que j'ai eu des parents plus vieux que la moyenne, mais pas du tout : l'antimonte-lait a même sa page wikipédia !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anti-monte-lait